A la rencontre du père d'Hurlements

Jean Luc Bizien

 


Interview Webzine Les sentiers de l'imaginaire - juin 2002 - extraits :

(http://chrysopee.net/index.php?rub=0&art=Affiche_Article&ID=103)

Jean-luc Bizien est né en 1963 à Phnom-Penh (Cambodge).

Il a grandi au Cambodge et aux Comores, avec le cinéma, la musique et la bande dessinée. Successivement dessinateur, guitariste dans un groupe de rock, auteur de jeu de rôles puis enseignant (il entre major de promotion à l'EN de Caen), il se consacre aujourd'hui à l'écriture.

Il est directeur de Collection chez Bayard, où il s'occupe de littérature de l'imaginaire.

Bonjour et merci de nous accorder ce petit entretien...
De rien, c'est tout à fait naturel !

                     

Auteur de Jeu de rôle, écrivain pour enfants, romancier… Vous avez plus d’une corde à votre arc! Comment vous est venu cette passion pour l’écriture ?

D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours raconté des histoires. Dans la cour de récréation, dans les marges de mes cahiers, dans des carnets... À l'origine, je voulais être dessinateur de BD, mais il apparaît que je ne suis pas assez doué pour ça (ou BEAUCOUP trop feignant). J'ai croisé le chemin d'illustrateurs, nous avons échangé nos points de vue, et j'ai la chance de travailler avec eux : ils visualisent les univers que j'ai en tête et leur donnent vie.

En 1989 paraissait un Jeu de Rôle à mon sens révolutionnaire qui avait plusieurs années d’avance sur les jeux privilégiant l’ambiance déclinés par White Wolf et sur les jeux à secrets. Comment avez-vous attrapé le virus du JdR ? Quel joueur étiez-vous ? Et, surtout, comment est né ce jeu fabuleux qu'est Hurlement ?

Révolutionnaire ? Merci beaucoup !
Vaste question... J'ai commencé le jeu de rôle via l'École Normale de Caen. À l'époque, c'était essentiellement D&D, et un peu Chtuluh (je ne sais toujours pas où on met les 'h'....). Le jeu de rôle, dans ces conditions-là, on en a vite fait le tour. Et puis l'ambiance virait souvent au vinaigre, en se résumant à un concours permanent, très proche de la petite école : la course à l'armement et à la puissance me saoulait, les rapports conflictuels aussi.
J'ai d'abord proposé une campagne aux Elfes (qui éditaient Féérie, à cette époque). Le supplément avait été éreinté dans les pages de Chroniques d'Outre Monde...
Et j'ai toujours formidablement bien fonctionné dans l'adversité (qui, plutôt que de m'enterrer, me donne des ailes).
J'ai donc, en un été, couché tout ce que je voulais et NE VOULAIS PAS voir dans un jeu de rôle. Et puis je suis allé à la pêche aux éditeurs au salon du jeu, à Paris, avec juste un écran noir, marqué Hurlements d'un côté et rien derrière...
J'ai fait joué le premier scénario à des éditeurs, et Paul Chion, patron des éditions Dragon Radieux, y a cru. On a dû aller à Morestel, tester l'ambiance sur des joueurs chevronnés, on a signé un contrat... et j'ai écrit le jeu d'une traite. Hurlements est apparu en six semaines, au premier jet.

J'ai eu beaucoup de chance, encore une fois.

Il est amusant de constater que, lorsque je lui en ai offert une boîte, Serge Brussolo m'a encouragé à novelliser certains scénarios, qui sont devenus Le Masque de la Bête et La Muraille, aux éditions du Masque. C'était donc bien un jeu 'littéraire' !

Après la disparition regrettée des Editions Dragon Radieux, le Rêve s’est poursuivit chez Multisim avec Chimère. Comment est né cet ambitieux projet et quel accueil a-t-il reçu des fidèles initiés et des errants ?

Il y a eu un passage chez Siroz, avant la rencontre avec Multisim.

J’ai fait beaucoup de choses, chez Siroz. On a animé un temps les éditions de la Lune-Sang (pour assurer le suivi de Hurlements) qui ont publié Hurlelune 4, 5 et 6. Entre temps, j’ai travaillé sur INS (quelques nouvelles), et récrit Berlin 18.

Les Editions Lune-Sang sont apparues pour assurer le suivi. On n’y connaissait rien, on n’a pas su gérer, et on n’a eu que des problèmes… J’ai découvert que le JdR me coutait bien plus d’argent qu’il ne m’en avait rapporté (j’ai financé l’affaire avec l’argent emprunté à la banque, que j’ai remboursé pendant des années…) Mais les joueurs ont eu accès aux suppléments. Siroz était distributeur des produits. Mais c’est de l’histoire ancienne, et pas forcément des bons souvenirs, que je ne veux plus remuer.

J’ai appris beaucoup de choses là-bas, sur les relations humaines et les difficultés avec les éditeurs, par exemple. Et quelques trucs sur l’écriture, aussi, fort heureusement. Mon plus beau souvenir reste quand même ma rencontre avec Mathias Twardowski, que j’ai la chance, depuis, de compter parmi mes amis.

J’ai appris le milieu et les règles, ce qui forge le caractère (mais les gars du JdR sont des enfants à côté de ceux de l’édition – les enjeux ne sont pas les mêmes !). Quand j’ai croisé les gars de Multisim, grâce à mon ami Mathias Twardowski, j’ai immédiatement sympathisé avec Cyrille, Philippe, Frank. On était sur la même longueur d’ondes, même si nos caractères étaient… différents. Travailler avec eux a été une très belle expérience, et le jeu est un superbe objet.

Quant à l’accueil… Et bien disons que j’ai découvert la puissance des “ fans ”, des gardiens de la Vérité. Et leurs critiques, positives ou négatives, m’ont convaincu qu’il fallait aller ailleurs. Écrire des romans, explorer d’autres voies.

En un mot : quand j’écris un roman et que je croise un lecteur, nous discutons. On peut être d’accord ou pas, et je suis TRÈS sensible à la critique (dont je tire toujours leçon). Mais on ne me prend plus la tête pendant des heures avec des points de règle !

Y-a-t-il une chance de voir Hurlement réédité ?

Nope. Définitivement. Des passionnés ont proposé plusieurs fois de s’y coller, pensant que c’était par manque de temps. Mais c’est non. Hurlements s’est fait avec Dragon Radieux, et ne se refera pas sans eux. Quelque part, au fond d’un carton, il reste de rares exemplaires, pour les fans, et puis voilà. Pour ceux qui se sont réveillés trop tard, hélas… Disons que je n’ai rien de personnel contre les photocopieurs !

Construire un scénario de JdR et élaborer l’intrigue d’un roman se font-il de la même façon ? Comment élaborez vous la trame d’un roman? Partez vous des personnages, de l’intrigue ou d’un concept autour duquel se construit le reste?

J’ai toujours le premier et le dernier chapitre de mon récit. Je les rédige, et je laisse mûrir l’idée. Un roman, comme un scénario de JdR, doit accrocher le lecteur, l’entraîner vers l’aventure sans espoir de retrait. De même, il doit finir fort, surprendre, choquer ou, en tout cas, ne pas laisser sur sa faim (quoique… ) Ensuite, l’expérience du JdR a beaucoup influencé mon écriture. Je pense à mes personnages, longtemps. Et je les lâche dans cet univers. Souvent, ils m’échappent et leurs actes, la cohérence de leur comportement, me dictent la suite. Je sais seulement qu’ils doivent aboutir à cette fin déjà écrite. C’est une manière risquée d’aborder l’écriture, mais elle me permet de me laisser surprendre par les personnages, et d’échapper à une quelconque routine d’écriture. C’est excitant de se lever le matin, de s’asseoir devant le Macintosh et de se demander : “ Et maintenant, les gars ? Qu’est-ce que vous me réservez pour aujourd’hui ? ”

Y-a-t-il une question que nous n’avons pas posé et à laquelle vous désireriez néanmoins répondre?

Pourquoi écrire ? Parce que je ne sais pas dessiner, ni suffisamment bien jouer de la guitare pour m’aventurer sur une scène… Mais que j’éprouve le besoin viscéral de rencontrer les gens, de discuter, d’échanger. Quand on produit quelque chose de personnel, quel que soit le médium choisi, on se met en danger, mais on invite à l’échange. Et c’est ce que j’aime pardessus tout dans ce métier. Les “ auteurs ” qui affirment, effet de mèche à l’appui, qu’ils “ n’écrivent pas pour être lus ” feraient mieux de rester dans leur cuisine au lieu de faire tuer des arbres. On produit pour aller à la rencontre d’un maximum de personnes, dans l’espoir qu’elles partageront le plaisir, et nous en donneront en retour. Parfois, un sourire, quelques mots, constituent le plus beau des salaires. Ce n’est pas de la démagogie : c’est ce que je vis dans les salons. Et c’est ce qui me fait avancer.

Pour finir et comme le veut la tradition chrysopéénne et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois :

Si tu étais une créature mythologique : un Dragon.
Si tu étais un personnage historique : Bruce Springsteen
Si tu étais un personnage biblique : probalement un des apôtres (comme tous les “ auteurs ” de JdR, je n’ai fait que marcher dans le sillon de Gygax...)
Si tu étais un personnage de roman : Elric le Nécromancien
Si tu étais un personnage de JdR : le Veneur
Si tu étais une œuvre humaine : celle de Springsteen !

 


Interview du magazine Dragon Radieux - février 1989 - extraits :

(http://membres.lycos.fr/dragonrad/)

 

Quel conseil pouvez vous donner d une personne qui va acquérir Hurlements et entreprendre sa première partie ?

J L: ... privilégier avant tout l'onirique. Il faut connaître parfaitement ses joueurs de manière à leur apporter beaucoup de ce que eux attendent. Si à la limite le meneur de jeu tombe sur une bande de cogneurs, qu'il leur fasse la démonstration que ce n'est pas prévu pour ça. Qu'il leur montre où réside l'intérêt du jeu.
......

Hurlements te paraît destiné à un jeune public Jean Luc ?

J L: Non ... parce que c'est un jeu qui se veut réaliste. Qui dit réalisme dans le Moyen Âge dit aussi violence, pas forcément dans le combat. "Hurlements" se veut un jeu résolument adulte. Un public trop jeune n'a pas forcément envie de vivre ce genre d'histoires. Il y a constamment un renvoi à des notions qui sont à mon avis à la fois trop abstraites et trop complexes...


Interview du webzine Eastenwest n°3 - Extraits :

( http://eastenwest.free.fr/?type=articles&ID=43)

 
 
Hurlements et Chimères sont vos créations: comment voyez vous ces jeux avec le recul ?

J'ai écris Hurlements du premier jet. J'avais passé un été à lister tout ce que je détestais dans le JdR et tout ce que je voulais y trouver. Je me suis aperçu que j'avais le plan pour mon jeu et je l'ai écris comme ça. Je n'ai jamais écris des règles, cela ne m'intéressait pas. Je voulais juste donner un univers que des gens pouvaient s'approprier et en faire ce qu'ils voulaient. Tous ceux qui se sont penchés sur le système de règles de Hurlements se sont arrachés les cheveux et ont fait leur sauce. Avec Chimères, ça a été l'excès inverse. En entrant chez Multisim, je suis tombé sur des gens passionnés, qui eux avaient réfléchi à des systèmes de règles et qui en ont plaqué un sur le jeu. Je ne vais pas vous raconter de bêtises, je ne l'ai jamais lu. J'ai toujours joué à Chimères sans règles et en m'amusant

 
     
Que vous a apporté le jeu de rôle ?

Même si j'ai perdu de l'argent dans le JdR, j'y ai appris mon métier. Et puis, il y a tellement de conflits d'ego dans ce milieu que cela m'a forgé le caractère. Je pensais avoir affaire à des adultes, que c'était un monde sérieux et je me rend compte maintenant que c'était juste un bon tremplin pour le monde de l'édition. Christian CAROLI, un auteur de JdR mort il y a une dizaine d'années, avait cette phrase merveilleuse : "le jeu de rôle est une grande famille, il laissait un petit temps ... les Borgia aussi étaient une grande famille.". C'est le drame de ce milieu. Je suis toujours ravi de rencontrer des gars dynamiques qui font des fanzines et je suis toujours atterré de voir la même ambiance de guérilla au Monde du Jeu ou je suis retourné cette année. Je ne comprend pas ça. Il y a tellement peu d'espaces ou le JdR a droit de cité... Le salon de la maquette a été une pantalonnade pendant des années mais on a bien été obligés d'y aller parce que c'était le seul endroit où on pouvait poser des trétauts et rencontrer des joueurs. Le problème du jeu de rôle, contrairement à la littérature, est que ça reste une passion et que tout ce qui est passionnel est irrationnel. A l'époque d'Hurlements, j'en arrivais à ce stade d'incompréhension où des gars venaient me voir en disant que mon scénario n'était pas dans l'esprit du jeu ! Il n'y a que dans ce monde-là que tu peux le trouver. Tu te dis : qu'est-ce qu'on est ? On n'est pas des auteurs, on a eu une idée mais on n'a rien inventé du tout, c'est Garry Gigax qui a tout inventé.

Mais Chimères est pourtant très littéraire comme jeu, non ?

C'est parce que j'ai toujours été un écrivain frustré. Maintenant je peux enfin faire ce que je veux. On a toujours pillé la littérature sans jamais renvoyer l'ascenseur. Gigax citait pèle mêle une cinquantaine d'auteurs et de titres passionnants qu'il a pompés.

Peut-on considérer que vos jeux ont bien marché ?

Qu'est-ce que c'est qu'une bonne vente de jeu de rôle ? A l'époque d'Hurlement, c'était 3000 boites. On l'a épuisé à 3500 boites. Tout le monde est persuadé que cela ne s'est pas vendu, alors qu'à l'époque c'était un carton phénoménal. Chimères aussi c'est bien vendu. Aujourd'hui un jeu est rentable à 600 exemplaires. Quand ils en vendent 1000, ils sont contents. Il faut le savoir, ce sont les chiffres.

 

Le drame des français (je vais encore dire du mal des petits camarades mais tant pis), c'est qu'ils voudraient à la fois faire un truc super élitiste pour pouvoir se regarder dans la glace en se disant : moi monsieur je suis un créateur; et en même temps faire un carton commercial. Il faut faire un choix. Avec Chimères, on savait que l'on n'en vendrait jamais 100.000 exemplaires. On s'est fait plaisir et le contrat était là. Multisim a joué le jeu et l'a très bien joué. A un moment donné, ils n'ont plus eu envie de continuer à mettre de l'argent sur un truc qu'ils n'étaient même pas sûrs de rentabiliser à terme. Le jeu a été rentable et a rapporté de l'argent mais les suppléments... La règle à l'époque, c'était : tu vends un supplément pour deux boites de jeu vendues. Donc tu fais très vite la règle de trois pour savoir si c'est rentable ou pas.

   
                   

 

Biographie parue dans le Guide du Rôliste Galactique - Extraits :

(http://www.roliste.com/bio.jsp?id=932)

 

J'ai découvert le jeu de rôle en entrant à l'école normale de Caen. Toute une bande d'allumés jouaient à D&D. Par la suite, je suis entré dans le circuit professionnel en publiant une campagne Féérie pour Les Elfes, puis en rencontrant Paul Chion de Dragon Radieux...

... Mes jeux préférés sont Hurlements et L5R, mais je joue rarement. Il m'arrive de partager la table de très bons amis, dont Mathias Twardowski. Mes autres loisirs sont la littérature, les jeux vidéos... J'aimerais avoir plus de temps, mais l'écriture m'occupe beaucoup trop.

De tout ce que j'ai fait, ce dont je suis le plus fier est Hurlements, parce qu'il m'a confronté pour la première fois à l'écriture et m'a permis de rencontrer des gens passionnants...

Les jeux auxquels il a participé :

Berlin XVIII
Chimères
GURPS / GURPS
Hurlements
In Nomine Satanis / Magna Veritas

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