Le récit de Jean Bonne-Lance

 

Nous le tenions. Encore quelques minutes et la récompense promise serait pour nous. Guillaume, le meilleur de nos cavaliers, était sur ses talons. Il était clair que la monture du bandit était épuisée.

J'entendis un cri de victoire : "touché !", suivi d'un hurlement affreux. Le cheval noir de Guillaume se dressa comme s'il était affolé par la vue d'un animal sauvage. Son cavalier était au sol hurlant de rage et de douleur : "au loup, c'est un loup, c'est un sorcier !". Ne comprenant ce qui se passait, je mis pied à terre, l'épée à la main et m'approchai du blessé. Au pied de l'arbre une épée et quelques vêtements gisaient en tas. Je reconnus l'écusson de Geoffroy Tête-Noire ainsi que son casque, mais il n'y avait pas de corps... Comment l'homme avait-il fait pour disparaître, et surtout pour se défaire aussi rapidement de ses affaires... ? Mille questions se posaient à la fois. Laissant l'un de mes soldats s'occuper de Guillaume, je repris la tête du peloton et avançai dans le sous-bois. Il me restait un espoir : celui de voir le fuyard pris en tenaille entre mes hommes et ceux du camp d'Obuis. Le piège avait fonctionné jusqu'à présent; il n'y avait pas de raison pour que les mâchoires de la tenaille ne se referment pas.

Soudain j'entendis à nouveau des cris et un bruit de bataille sur mes arrières. Je retournai vers le moulin le plus rapidement possible. Il était trop tard : Guillaume et son compagnon gisaient au milieu de la clairière. Une forte troupe de bandits occupait les lieux; nous dûmes nous abriter de leurs flêches dans le moulin.

Paul Chion